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Mon pantalon est encore trop large. Les quelques jours passés à Katmandou n’ont manifestement pas été suffisants pour reprendre du poids. Mais si je veux avoir l’occasion de photographier l’anniversaire du Bouddha dans un village reculé de la vallée de Tsum je dois y aller maintenant. De la ville de Soti Khola, trois longues journées de marche dans la chaleur de la jungle m’attendent pour rejoindre Chumling, le premier village de la vallée tibétaine.

Bien que la vallée regorge de très jolies Gurung, je suis incapable de saisir mon appareil photo. L’envie n’est pas là, l’inspiration m’a quitté. Est-ce parce que je me sens si fatigué après les treks au Makalu et au Kanchenjunga ? Ou bien peut-être est-ce une conséquence des nombreux refus que j’ai rencontrés auparavant? Heureusement, la passion et la volonté de documenter les paysages et les gens que je rencontre sur le chemin reviennent alors que j’approche des hauteurs. Je suppose que les montagnes et leurs habitants sont ma source d’inspiration…

La vallée du Tsum n’a été ouverte au tourisme qu’en 2008 mais déjà d’importants changements y sont intervenus. Les homestays ont été remplacés par des maisons d’hôtes touristiques fournissant la même nourriture et les mêmes boissons que partout ailleurs dans l’Himalaya népalais et des routes ont été construites entre le Népal et la Chine. Qui plus est, de gigantesques pavillons sont en cours de construction, ruinant la beauté des traditionnels villages de bois et de pierre entourés de champs de céréales et de pommes de terre.

J’ai la chance d’y être maintenant et suis conscient que dans les cinq ou dix prochaines années tout aura changé. Mais qui suis-je pour juger ? La vie est si dure ici, comment pourrais-je critiquer ces hommes et ces femmes qui cherchent à recevoir le petit supplément de confort, d’éducation et de soins que le tourisme peut leur apporter ? Je vais devoir l’accepter et être reconnaissant que malgré la montée rapide du tourisme dans cette région, les traditions y sont encore bel et bien vivantes ! Les femmes portent toujours avec fierté la robe tibétaine, les murs de mani sont omniprésents — ce qui est parfois ennuyeux pour un trekker fatigué car on est supposé les garder à notre droite à tout moment, impliquant souvent un petit détour — et l’on peut encore contempler de nombreux monastères bouddhistes, dont certains en construction.

Malheureusement nous apprenons rapidement qu’aucune fête ne sera célébrée pour l’anniversaire du Bouddha, probablement parce que dans la culture bouddhiste la naissance peut être interprétée comme le début des souffrances. En ce qui concerne la souffrance, cela signifie pour moi que ces trois derniers jours de lutte ont été vains. Les efforts ne sont pas toujours récompensés. Voyager et photographier, c’est aussi cela. Je l’ai appris à mes dépens au fil des ans et je l’accepte. Cela fait partie du jeu.

Mais la malchance se manifeste rarement seule. Je ressens soudain une forte douleur au mollet et après avoir été invité pour un thé tibétain, un thé salé mélangé avec du beurre rance de dri — la femelle du yak —, les maudits “rots à l’oeuf pourri” font leur apparition. Les litres d’infusions de gingembre et de soupe à l’ail n’auront aucun effet. Mon ventre me joue des tours pendant plusieurs jours. Malgré le manque de force je garde la foi et en quelques heures nous gravissons la pente raide de 1000m qui nous mène aux pied des Ganesh Himal I, II et III, titans de pierre et de glace finement sculptés par mère nature. Heureusement Kishor, mon guide, me soulage des quelques kilos qui auraient rendu cette ascension si douloureuse avec un corps dans cet état et le moral dans les chaussettes.

Après une horrible nuit passée à me vider je me réveille desséché. Il faut que je trouve de l’eau. Le soleil se lève sur les géants blancs et, même si je suis faible, je ne peux résister, c’est plus fort que moi. Je saisis mon appareil et mon trépied et commence à faire des photos. L’eau attendra. C’est la première fois que je fais des photos dans un tel état de délabrement mais ces lumières à couper le souffle me font oublier un court instant ma douleur. Au moins j’aurais souffert toute cette nuit pour quelque chose. Jour après jour, mon état ne s’améliore pas. Bien que je n’aime pas du tout cette idée, il est temps pour moi de m’appuyer sur la technologie moderne sans laquelle je n’aurais pas survécu à mes précédentes aventures. Antibiotiques, venez à mon secours !

Peu à peu la force revient et le moral avec. Kishor, toujours joyeux, chantant régulièrement à tue-tête sur le chemin m’aide aussi beaucoup sans vraiment le savoir. C’est un atout formidable d’avoir quelqu’un d’aussi positif à ses côtés quand on se sent si mal. Je peux enfin profiter des pujas tenues dans les monastères ou parfois dans des abris de fortune. La vallée du Tsum se trouve dans le district de Gorkha, épicentre du tremblement de terre de 2015, et bien que la plupart des villages aient été reconstruits certains lieux n’ont pas encore eu cette chance. J’ai ainsi l’opportunité d’aider au remplacement des poteaux qui acheminent le courant de la centrale hydroélectrique à quelques kilomètres du petit village du Nil, ainsi que de photographier l’évènement. Au début, les habitants du village restent sur leurs gardes et ne me laissent pas vraiment les prendre en photo. Mais après les avoir aidé à lever deux des poteaux de béton, l’ambiance se détend radicalement et la session de photos fait mouche. Il faut parfois fournir quelques efforts, se faire accepter, avant de pouvoir passer de bons moments.

Je ne comprends pas vraiment pourquoi les gens étaient si réticents. Peut-être ont-il eu une mauvaise expérience avec des touristes ou des photographes auparavant ? Je trouverai malheureusement cette réserve un peu partout dans la vallée. Je n’ai jamais eu autant de mal à photographier les gens, mais je prends ça comme un défi.

Après avoir passé un peu plus d’une semaine dans cette vallée sauvage et traditionnelle qu’est Tsum, il est temps maintenant de me diriger vers un endroit où je peux photographier de plus grands sommets. Je parle bien sûr de l’aire de conservation du Manaslu, dans la vallée voisine, qui abrite le huitième plus haut sommet du monde. Mais assez pour aujourd’hui. Ce sera pour un autre article !

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