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Il pleut depuis l’aube sur le petit village de Bimthang, dans l’aire de conservation du Manaslu, où j’écris ces lignes. La mousson nous guettait depuis un certain temps, transformant les sommets photogéniques en aimants à nuages. La redoutée porteuse de pluie est finalement arrivée le lendemain de la traversée du col de Larkye, certainement l’une des journées les plus mémorables de ce trek.

Assis près du feu le regard rivé à la fenêtre de la cuisine, je me souviens des événements qui nous ont amenés ici. Après avoir fait connaissance avec les Tibétains de Tsum nous voici maintenant dans la vallée de la Nubri où se dresse le 8ème plus haut sommet du monde, le mont Manaslu. Nous marchons à nouveau dans la jungle sous une pluie battante. La nuit dernière fut agitée. J’ai rêvé que je devenais ami avec Donald Trump et que nous allions faire la fête ensemble…

Malgré de courts arrêts à Katmandou, après deux mois et demi sur les sentiers himalayens je pense qu’un sentiment de solitude s’installe. Je ne suis pas du genre à avoir besoin d’être entouré d’amis en permanence. Bien au contraire, je chéris la solitude ! Mais là, maintenant, je ressens ce besoin de rencontrer des gens qui partagent la même culture et le même mode de vie que moi pour échanger sur tout et n’importe quoi. Heureusement j’ai emmené avec moi un peu de musique. Elle a ce pouvoir de me ramener chez moi, dans de lointains souvenirs, l’espace d’un court instant. Une sensation réconfortante qui m’aide à reprendre pied.

En grimpant la vallée je me rends compte à quel point le circuit du Manaslu doit être touristique en pleine saison. A certains endroits d’immenses lodges de luxe sont en construction. Un village comme Namrung, par exemple, a été entièrement acheté par un homme d’affaires et transformé en un centre de villégiature surréaliste pour touristes. Cet endroit doit être un enfer quand des centaines de randonneurs s’engouffrent au sein des dortoirs de pierre et de tôle. Je m’enfuis aussi vite que possible.

Comme dans la vallée de Tsum, photographier les habitants ici est un combat. Non seulement ils n’aiment pas être pris en photo — ce que je peux comprendre compte tenu du nombre de fois que ça a dû arriver, avec ou sans leur consentement — mais la plupart d’entre eux est dans les collines en train de ramasser le yartsa gunbu, un champignon se nourrissant de chenilles, leur sortant par la tête, très apprécié des Chinois pour ses vertus aphrodisiaques.

Les journées passent. Jusqu’à présent, je n’ai pas vraiment rencontré d’opportunité photographique. La chance tourne alors que nous atteignons la petite ville de Sho. “Ces villages aux noms courts sont les plus intéressants” me dit un ethnologue allemand croisé en chemin. Le bougre avait bien raison ! Les habitants des environs se rassemblent par centaines autour du monastère pour une cérémonie bouddhiste peu fréquente. Après une puja dans le monastère des danses traditionnelles sont exécutées par de jeunes moines portant costumes et masques finement travaillés.

La cérémonie dure jusqu’à la tombée de la nuit, interrompue par d’autres pujas, des distributions de nourriture et d’alcool ainsi que des bénédictions en présence d’un jeune Rinpoché. Ce n’est que tard dans la nuit qu’elle se termine avec une série de danses traditionnelles tibétaines autour du feu auxquelles je participe volontiers. La pluie met fin à cela. Après un tel évènement, tous mes soucis disparaissent. C’est maintenant avec une grande joie que je poursuis mon voyage vers le Manaslu en espérant d’autres surprises comme celle-ci.

La météo reste fade mais avec l’altitude je retrouve enfin les sommets recouverts de glace et les glaciers rugissants qui en craquant font le bruit d’un avion au loin. Puis un beau matin j’ai la chance d’être à nouveau gâté. Après avoir abandonné tout espoir de le voir, un trou dans le rideau gris des nuages révèle le mont Manaslu, étincelant dans sa robe d’or. Il se tient là, devant moi, majestueux. Même s’il s’agit de la dernière montagne que je vois sur ce trek, je serai amplement satisfait. Mais au fond de moi j’ai le sentiment qu’il y a encore beaucoup à voir…

Pas après pas, dans un vent glacial, nous arrivons à Samdo, le dernier village de la vallée. C’est ici que je rencontre Karsang Diki, une Tibétaine chez qui j’ai la surprise de voir une cigale en céramique, un souvenir que l’on trouve habituellement dans ma Provence natale. Elle m’explique qu’elle a été invitée en France il y a quelques années et l’on apprend rapidement que nous avons des connaissances en commun. Je la suivrai le lendemain alors qu’elle ira avec les autres villageois chercher les fameux yartsa gunbu. On m’a informé que les gens partent habituellement vers 7h du matin, mais à 6h le village est déjà déserté. J’avale rapidement un bol de nouilles brûlantes, prends mon sac à dos et fonce. Je n’emporte avec moi que le strict nécessaire et pourtant je me traîne derrière les groupes éparpillés de villageois qui partent à la cueillette. La marche semble n’en jamais finir et les chemins s’estompent alors que j’essaie de suivre les derniers retardataires, déjà de simples silhouettes au loin.

Ce n’est qu’à l’approche de la frontière tibétaine, un col enneigé à quelques centaines de mètres, que je retrouve enfin les cueilleurs, à quatre pattes à la recherche des champignons en forme de tige. Nous passons la journée à grimper des pentes abruptes d’un lieu de cueillette à l’autre à la merci des éléments, atteignant parfois les 5000 m, ramassant les champignons un à un. Vendus entre 300 et 1000 roupies népalaises (3 à 10 €) pièce, les familles en collectent généralement quelques centaines durant le mois que dure la saison, ce qui en fait leur revenu principal. Je comprends désormais pourquoi la plupart les villages sur le chemin étaient vides !

Deux jours plus tard vient le moment que j’attendais depuis le début du circuit de Manaslu : le passage du col de Larkye, à 5100 m d’altitude. Après une courte nuit dans la loge spartiate et dispendieuse de Dharmashala, le réveil de 2h30 sonne. Il est temps de grimper le long de la gigantesque moraine du glacier. Le sentier n’est pas vraiment raide mais le manque d’air se fait rapidement sentir, rendant l’ascension plus difficile. J’ai de grandes espérances et espère que ce que je verrai là-haut sera au moins aussi beau que la vue du col de Thorung, sur le circuit de l’Annapurna, qui m’a profondément marqué il y a quatre ans.

Déçu je ne serai pas. Tout ce que j’espérais et plus encore se dévoile à l’aube. Des sommets couronnés par des glaciers chaotiques, des crêtes abruptes et, cerise sur le gâteau, la traversée d’un lac gelé. Je me sens comme dans un rêve dans lequel j’engrange les récompenses gagnées par l’engagement des jours précédents.

La surprise ne s’arrête pas là. La descente de 1500 m qui mène au village de Bimthang m’offre la vue de sommets encore plus difformes, des glaciers qui grondent et des moraines titanesques. Jamais je n’aurais osé en espérer autant et alors que j’écris ces lignes, même si la mousson me prive des dernières vues sur Manaslu et ses montagnes voisines, je me sens tel un photographe accompli. Quelle beau bouquet final !

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