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Les occasions photographiques se présentent souvent quand on s’y attend le moins. Savoir reconnaître et saisir ces opportunités est une part importante de notre parcours photographique et une compétence que l’on peut rapidement acquérir durant un voyage, simplement en observant et en restant ouvert à tout ce qui nous entoure. Lorsque Lost Earth Adventures et moi avons décidé de coopérer pour documenter le périple vers le camp de base du Makalu, dans l’Himalaya népalais, je n’avais qu’une idée rudimentaire de ce que j’allais y rencontrer. Le trek étant beaucoup moins parcouru que ses homologues dans les régions de l’Annapurna ou de l’Everest, la quantité d’informations disponibles était faible, ce qui est l’une des raisons pour lesquelles il a attiré mon attention.

Après quelques problèmes administratifs à l’aéroport, un bagage perdu pendant 48 heures et un changement de guide de dernière minute, je rejoins finalement la route. Un trajet de 24 heures en bus suivi de 4 heures dans une jeep à côté de boites à l’odeur âcre contenant des centaines de poussins, Tsering — mon guide — et moi pouvons enfin démarrer notre trek. Les premiers jours sont proches de ce que je m’étais imaginé : marcher dans une jungle profonde, traverser des villages traditionnels et rencontrer les villageois en chemin. Absolument charmant. La vallée étant peuplée de Sherpa, de Rai et de Gurung, la diversité et la gentillesse des gens que nous rencontrons sur le chemin rendent les douleurs des premiers jours du trek faciles à endurer. En chemin, nous apprenons que le camp de base du Makalu, notre destination finale, n’est pas accessible. Il y a trop de neige, elle n’ a pas encore fondu. C’est une très mauvaise nouvelle. J’avais l’impression que ce trek était maudit mais que nous avions depuis surmonté la situation, mais il semble qu’il soit resté maudit. Que va-t-on va faire ? Il ne sert à rien d’hésiter. Continuons, l’on verra bien ce qu’il se passe par la suite.

Alors que nous quittons le dernier village vers les cols empêtrés sous la neige, nous croisons le chemin d’une équipe de sherpas en direction du Makalu (le mot “sherpa” peut être utilisé avec un ‘s’ minuscule, auquel cas il signifie porteur, ou avec un ‘S’ majuscule pour désigner le groupe ethnique). C’est une occasion à ne pas rater. Non seulement ils peuvent nous aider à atteindre le camp de base, mais c’est aussi une excellente occasion de les suivre et d’en apprendre davantage sur leur culture et leur mode de vie. Nous rejoignons donc leur groupe, environ 35 sherpas âgés de 17 à 50 ans, dans une joyeuse marche entre deux verres de tchang, une bière de céréales brassée localement, typique des vallées himalayennes.

La marche est raide et ardue avec de la neige fondue jusqu’aux genoux, parfois même jusqu’aux hanches. Ajoutez à cela un brouillard épais et vous aurez une idée relativement proche de ce qu’a pu être ce grand moment de bonheur. En fin de compte nous atteignons la cabane de Khongma Danda où les femmes sherpani travaillent déjà, transformant la rustique maison de pierre à demi enfouie sous la neige en un havre chaleureux et confortable. Après avoir transporté des charges de 30 kg sur un sentier aussi merdique, elles trouvent encore la force de s’occuper de tout ça, et elles le font avec joie ! J’éprouve un profond respect pour ces femmes.

Le lendemain, quelques sherpas se proposent pour aller ouvrir le reste du chemin, toujours sous une épaisse couche de neige. Mais nous devrons rester ici jusqu’à ce qu’il soit prêt. Avec un emploi du temps aussi serré que le nôtre, cela signifie que nous ne pourrons malheureusement pas atteindre le camp de base au final. Nous avons déjà été plus loin que nos prédécesseurs donc au plus on pourra continuer, au plus on sera satisfaits. Aujourd’hui, la plupart des sherpas resteront ici. Cette journée leur sera donc consacrée et je passerai beaucoup de temps à rigoler avec eux et à les prendre en photo. C’est loin d’être une journée perdue!

Le jour de repos étant terminé, on reprend la route. La marche est encore plus difficile, peut-être à cause de l’altitude, mais je peux enfin contempler la montagne pour laquelle je suis ici, le Makalu, 5ème plus haut sommet du monde avec ses 8485 mètres. J’aime ce moment éphémère où la bête se recouvre lentement de nuages. Après quelques heures de lutte, nous atteignons le col de Shipton à 4200 m d’altitude et nous réalisons que continuer ne serait pas sage. La neige fond et les zones que nous devons traverser sont sujettes aux avalanches. C’est une décision difficile à prendre mais comme on dit : “un bon montagnard est un montagnard vivant”. Nous décidons donc d’arrêter là notre aventure et de dire adieu à nos amis sherpa. Bien que j’aurais aimé continuer en leur compagnie jusqu’au camp de base, je pense que je ne regretterai pas cette décision.

Tôt le lendemain matin, après avoir réfléchi toute la nuit à une centaine de façons possibles de mourir enseveli sous une avalanche, nous repartons sous un ciel étoilé et sur une neige croustillante. C’est là une excellente nouvelle car les risques sont considérablement réduits dans ces conditions. Un chien errant qui suivait jusqu’à présent les sherpas nous rejoint dans notre descente. Je ne rencontrerai probablement jamais une telle occasion photographique à nouveau! Alors que le soleil, paresseux, se lève doucement et illumine les sommets glacés, tous les doutes que j’avais ont disparu. Je suis heureux d’être ici, d’avoir vécu tout cela. Même si nous n’avons pas atteint le camp de base, ce que j’ai vécu ces derniers jours est sans aucun doute quelque chose dont je me souviendrai pour toujours. Après tout, peut-être que ce que j’avais pris jusque là pour une malédiction était en fait une bénédiction…

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