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Les jours se suivent et se ressemblent. J’ai décidé d’aller visiter l’Ouzbékistan en espérant poursuivre mon voyage écourté en Iran, mais j’avais sûrement trop d’attentes. Alors oui, l’Ouzbékistan a de beaux monuments, restaurés d’une manière parfois un peu kitsch, mais bon, c’est beau quand même… et oui, les Ouzbeks sont gentils et cuisinent de la bonne bouffe… mais il m’en faut un peu plus — ou moins ? — pour qu’un voyage me touche vraiment. #VieuxConBlasé. Mes journées se résument à : me lever; manger gras et boire du thé vert; aller visiter des monuments; pester contre les cars qui vomissent des touristes; manger gras et boire du thé vert; visiter d’autres monuments; manger gras et boire du thé vert; chercher un hébergement et réserver un billet de train pour la prochaine destination que j’espère plus inspirante; prendre une douche; boire du thé vert; aller me coucher. Si au moins l’ambiance et les rencontres dans les auberges de jeunesse en valaient la peine! Mais, hormis quelques exceptions, c’est d’une tristesse affligeante : les humanoïdes modernes passent leur soirée recourbés sur leur téléphone, la tête lourde. On croirait voir leur âme se faire aspirer par ce petit boitier de métal et de verre. Il semblerait qu’il ait une saveur différente selon les pays, sinon pourquoi passer tant de temps les yeux rivés dessus ? Si ce n’était pour le staff des auberges, je me serais senti bien seul. Cela dit, il y a deux expériences qui m’ont particulièrement marqué en Ouzbékistan, me poussant à rester.

Les Trains de Nuit

La première, c’est celle des trains de nuit. Inutile de préciser que je parle de la version la moins chère, de l’expérience populaire; pas de celle des wagons confortables où l’on dort bien. Je parle de la chaleur des vieux wagons datant de l’ère soviétique, dont les agents en chemise bleue vérifient le bon état de marche à chaque arrêt en mettant des coups de marteau contre les roues. Dans ces wagons à la déco rétro règne une chaleur collante, mais surtout une chaleur humaine, cette sensation qui nous rapproche et nous fait oublier notre condition solitaire. Au travers de vieilles fenêtres contemplées par des générations d’Ouzbeks et de voyageurs les paysages de la route de la soie défilent. Lentement, au rythme des « toc-toc, toc-toc » du train qui glisse sur des rails pas toujours bien droits, se succèdent villages, villes et déserts. Assis sur les couchettes, des gens de tout âge. Ils ne se sont jamais rencontrés mais semblent se connaître depuis toujours. Une jeune femme, radieuse, s’installe avec son bébé. Elle a besoin d’aide. Naturellement, un vieil homme le prend dans ses bras et s’occupe de lui comme s’il s’agissait de son petit-fils, puis un enfant vient jouer avec. Peu de gens parlent Anglais, mais ça ne les empêche pas d’être curieux et de partager le thé avec moi. Google Translate est mon meilleur allié et fonctionne à merveille. L’alphabet utilisé pour l’Ouzbek est le même que le nôtre, alors je m’essaie à la prononciation. Ça a l’air de bien marcher et j’ai l’impression de maîtriser la langue, ce qui me permet d’avoir de courtes conversations.

Puis vient l’heure de la prière. Les croyants s’orientent vers la Mecque et sollicitent Allah à l’aide de chuchotements et de gestes qui me sont inconnus. Alors je les prends en photos. La prière terminée, ils sont curieux de les voir pour en rire et me montrer leur pouce.

L’heure du repas approche. On m’invite à m’asseoir à la petite table entre les couchettes. La nourriture est mise en commun, la table déborde. J’y amène mon pain, ma saucisse fumée et quelques bananes. Le festin commence, informel. On se fait passer des petits bouts de trucs à grignoter, la lumière du soleil couchant dore les visages et les fige dans ma mémoire. Je n’aurais jamais cru que la lumière puisse être si belle dans un wagon de train. Le repas s’achève, les anciens se passent les mains devant le visage en guise de remerciement, puis chacun s’allonge sur sa couchette avant de s’endormir, avec les pieds qui dépassent. On sera peut-être réveillés au prochain arrêt ou au suivant, quand le responsable de wagon rallumera la lumière pour les nouveaux arrivants ou que l’un d’eux se trompera de couchette, mais qu’importe.

Le soleil se lève et dore de nouveau le wagon assoupi. Des visages ont disparu, d’autres les remplacent. Les plus matinaux sont aspirés par leur smartphone ou par le paysage qui défile. Quelle que soit sa fenêtre, l’Homme a besoin de s’enfuir. Un jeune homme arrive avec un gros saladier, le sourire carnassier, et le pose sur la table. Il m’invite à me servir. Du pain ? Il est un peu sec, mais pourquoi pas ? Ce n’est qu’un leurre. Sous la fine couche de pain se cachent plusieurs kilos de bidoche. Voilà d’où venait ce rictus festoyeur ! Il est 8h du mat, mes nouveaux voisins insistent pour que je « goûte ». Ils ne me laissent pas le choix, le petit-dèj sera carné.

Les Montagnes de Nuratau

L’autre expérience qui ma touché c’est de passer quelques jours dans les villages de Nuratau. Après des heures de route à travers le désert de Kyzylkum se dresse, sortie de nulle part, une chaîne de montagnes. On se demande vraiment ce qu’elle fout là. Qui dit montagne, dit villages reculés… et ça moi j’aime bien ! Depuis quelques temps les villageois, des Tadjiks vivant principalement de leur bétail et de la production de noix, ont décidé de se lancer dans le tourisme pour complémenter leurs revenus et conserver leur mode vie, endiguant ainsi l’exode rural. On trouve désormais des séjours chez l’habitant dans plusieurs villages — Sentob, Majrum, Hayot, Ukhum, Asrof, Porasht — dont la plupart sont paradisiaques. Si des humains se sont installés ici, c’est que parmi toute cette sécheresse, il y a de l’eau : les villages des Nuratau sont des oasis où la verdure explose au milieu de l’aridité ambiante.

Construites aux abords d’un cours d’eau, au cœur d’une vallée, les maisons se situent dans de petites clairières entourées de verdure. Dans les jardins, tables, chaises et tapchans sont disposés pour le confort de chacun. Les rues, elles, sont bordées d’arbres multi-centenaires. La légende veut que l’un d’entre eux, un conifère dont les branches principales font plusieurs mètres de diamètre, date de l’époque d’Alexandre le Grand. Où qu’on se trouve, on entend les enfants jouer et crier d’une voix aigüe « hellooooo! », les oiseaux piailler, les poules caqueter, les vaches brouter — elles ne meuglent pas beaucoup mais on entend bien les « frrrsht frrrrsht » de l’herbe qu’elles arrachent — et les ânes braire comme des cinglés à des kilomètres à la ronde. Malheureusement qui dit troupeaux dit aussi cabots, ce qui vient gâcher un peu la tranquillité bucolique du lieu, notamment entre Hayot et Ukhum où je me fais attaquer trois fois en deux heures. Ces sales clébards ne veulent pas me laisser emprunter le chemin entre les deux villages. Ambiance Tusheti…

Le soir venu on s’installe à table, dans le jardin. Il fait encore bon en Octobre. Sur la table se trouvent des mets délicieux constitués de légumes du potager, de produits laitiers frais et de viande locale, préparés avec amour et servis avec un « bon appétit !» (en Français) par la(les) femme(s) de la maison. Ici la polygamie subsiste, même si elle est peu répandue. Bien évidemment, comme partout ailleurs en Ouzbékistan, on accompagne le tout avec des litres de thé vert avant d’aller s’endormir, repu, dans une chambre à la déco vieillotte : linge de lit à fleurs, tapis sur les murs et lustre de verre en forme de feuilles. Avec bien évidemment des cœurs et du love de partout…

Le lendemain, quelques heures de marche à travers les montagnes suffisent pour rejoindre le village suivant. Du haut des cols, une vue imprenable sur le lac d’Aydar, tout en longueur, d’un bleu claquant qui contraste avec le désert beige-poussière qui l’entoure. Sur la route, je salue un ou deux bergers : « Salom ! ». Pas de chiens en vue. Il semble qu’ils restent au village, même si certains troupeaux se baladent seuls et rentrent le soir venu dans leur enclos. Il faut faire malgré tout attention aux « cobras », comme les appellent les locaux — en est-ce vraiment ? J’en ai croisé un, tout bébé, tout mignon, qui venait se cacher sous ma chaussure. Finalement, en contrebas, dans le creux d’une vallée, l’arrivée. Un gros tas de verdure à la couleur vivace d’où dépassent quelques maisons. C’est le village où m’attend mon prochain litre de thé. J’y croise des enfants à l’uniforme plus ou moins bien enfilé qui marchent vers l’école et me saluent timidement. Dans une de mes poches j’ai toujours quelques pierres, vestiges des précédentes attaques de chien — et non pas pour éloigner les enfants hein ! Je les montre au proprio de la guesthouse en lui disant « it », « chien » en Ouzbek. Ça le fait rire et il m’explique que je devrais aussi avoir un bâton. Mais dans ce village, je ne crains rien m’assure-t-il, « les chiens sont tous ramollos ». Je passe le reste de la journée à jouer avec les gosses et à marcher dans les ruelles et les chemins qui bordent le village, dans le cimetière recouvert d’herbes dorées… On pourrait dire, ici aussi, que chaque jour se suit et se ressemble, et ce serait vrai. Mais quand les journées sont belles et inspirantes, pourquoi se priver de les répéter ?

2 Comments

  • Céline dit :

    À la lecture de ton texte, j’ai ressenti un véritable partage d’émotions, la bienveillance humaine (qui se fait de plus en plus rare dans nos sociétés « développées »), les couleurs, les odeurs,… Je me sentais comme plongée dans un roman de voyage… J’attends le prochain chapitre avec impatience !
    Les photos sont magnifiques ! Tu as su révéler la beauté de ces instants !

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