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Tsagaan Sar ou pas, la vie quotidienne suit son cours à la cadence de l’hiver, et même si chaque jour commence et se termine de la même manière, il n’en comporte pas moins son lot de surprises. Voici à quoi ressemble la vie en yourte.

Réveil sous les cris stridents de Batchimeg et Barougon, les deux derniers, qui aboutissent aux premiers pleurs de la journée. Heureusement pour mes oreilles, dans quelques jours les vacances se terminent et des quatre enfants seulement la plus jeune, Batchimeg, restera. Le lever n’en sera que plus calme.

Il fait déjà chaud dans la yourte. Mou-Gelish, la maîtresse de céans, s’est levée avant tout le monde pour allumer le feu; une tâche aussi brève qu’ingrate car la température intérieure descend fréquemment au-delà de –20°C. S’ensuit un petit déjeuner rapide. Quelques biscuits secs au goût de beurre rance, une succession de bols de thé au lait de yak[1], puis on se dirige vers l’étable pour les premières tâches quotidiennes: la traie et le nettoyage manuel des bouses, ces tas bruns généralement gelés et durs comme pierre – généralement… Une tâche qui s’avèrerait aisée si l’on ne prenait pas en compte la température extérieure et le vent.

Une fois le sol propre et les seaux emplis de lait, retour dans la yourte. Assis en tailleur, au chaud près du poêle, l’étape suivante nécessite que j’ingurgite un maximum de biscuits et de thé avant midi. C’est une sorte de préparation physique absolument nécessaire avant de m’en aller pour les quatre ou cinq prochaines heures dans la steppe, accompagné d’un troupeau de deux cent chèvres et moutons. Pour faire simple, je suis devenu le berger stagiaire de la famille et on s’assure que je ne vais pas mourir de froid ou de faim durant la pâture.

Avec le temps j’apprécie de plus en plus ces moments seul avec mes bêtes dans la nature. Au début j’appréhendais un peu: Et si je n’arrivais pas à les ramener? Et si le loup qui traîne dans les alentours montrait le bout de son nez? Et si je me perdais? Mais rapidement ces angoisses se dissipent. Alors, un sentiment de bien-être et de paix intérieure s’installe. Les heures passent et je contemple la steppe, écoute le bruit de l’herbe gelée qui craque sous le pas du bétail, ou encore observe les rapaces voleter à la recherche d’un casse-croûte. Si peu de choses se passent mais tant de détails, insignifiants au premier abord, attendent qu’on leur prête un peu d’attention pour se dévoiler. Il me faut un certain temps pour le comprendre mais une fois que le langage de la nature saisi, un nouveau monde s’offre à moi dans toute sa lenteur.

Nourri de cette lenteur je me prends parfois à rêver avant de me réveiller en sursaut pour rattraper mes ovins, joyeusement dispersés dans un épais bosquet. Dès lors je me mets à crier et leur courir après, bâton à la main, tentant de les regrouper. Mais leur stupidité n’est pas qu’une légende et une énergie folle est nécessaire pour mener à bien cette mission. Et ce n’est rien comparé à l’effort requis pour séparer deux troupeaux qui se sont fait un plaisir de se mélanger, car il arrive parfois que la solitude de ces errances soit rompue par l’apparition d’un autre berger et de son troupeau.

Les animaux finalement ramenés aux alentours de la ferme, vient à nouveau le moment de se réchauffer autour du poêle, un bol de thé à la main. Une sensation simple mais ô combien appréciée après avoir été malmené par les rudesses de l’hiver Mongole. Pendant ce temps là Honda, le maître des lieux, a ramené un stock de glace de la rivière. L’hiver a cet avantage que l’eau est sous forme solide et donc facilement transportable à dos de yak.

Le soir venant, il faut rentrer les chèvres et les moutons dans leur bergerie puis, un par un, attraper les plus jeunes pour les mettre à l’abri, dans la yourte. Ces petites touffes de laine n’ayant pas eu le temps de s’engraisser suffisamment passent leur nuit avec nous pour éviter de mourir de froid. Il faut enfin ramener les jeunes yaks dans leur étable, un instant éprouvant car ces derniers ne veulent en aucun cas quitter leur mère.

La journée de travail s’achève. L’unique voisin nous rend visite, parfois accompagné de son père. Pas besoin de frapper à la porte. Ici on entre comme s’il s’agissait de sa propre demeure et on s’assoit. Un bol de thé brulant à la main, on regarde les jeux olympiques de Sotchi sur la vieille télévision en noir et blanc alimentée par une batterie de voiture – chargée par le soleil. “Wooooaaa!”; entre deux bouffées de tabac, Honda s’émerveille comme un gosse devant les skieurs qui décollent du tremplin. Puis on change de chaîne. Un défilé occidental de maillots de bain; “Bi ekhner”, je leur explique avec un Mongole rudimentaire que cette magnifique créature est ma femme. Rires. La petite Batchimeg vient ensuite vers moi et me demande de dessiner sur son cahier… Bref, on passe du bon temps en attendant que la viande ait fini de bouillir.

Une assiette commune est installée. Assis sur de petits tabourets de bois ou à même le sol, chacun se saisit d’un morceau et, de son couteau, racle l’os jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien de comestible. Ce soir, on mange du yak. Demain, probablement, du mouton ou de la chèvre… Peut-être avec des pâtes. La viande et la farine sont les ingrédients principaux de chaque repas et, à la campagne, fruits ou légumes ne sont pas la norme.

La nuit avance paisiblement. Il est bientôt temps de déployer les lourdes couvertures de laine qui nous tiendront chaud par cette nuit glaciale illuminée par les étoiles. Epuisé, mais l’esprit en paix je m’endors comme une masse.


  1. Le dictionnaire Français ne comporte pas de traduction pour la femelle de ce dernier, censée se nommer nak ou dri.  ↩

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