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Daro m’avait prévenu qu’une fête aurait lieu à Shenako le jour de la fin de notre trek — coup de bol. Nous arrivons en sueur au village et la fête a déjà commencé. De grandes tentes ont été installées pour l’occasion. Alors que celle des femmes semble adaptée à un grand banquet familial, celle des hommes est dédiée à une toute autre activité : la boisson. Je sais où je vais passer le plus de temps… 🍻

Gaomajos !

Il y a quelques jours un nouvel accident a eu lieu sur la route en direction de la Tusheti et a coûté la vie à quatre personnes. Il n’y aura donc pas de danses ni de chants durant cette fête par respect pour les défunts. Nous nous installons dans la tente des femmes pour le déjeuner. Une petite vieille à la dentition parsemée est toute contente que Céline aime son vin rouge — très sucré — et trinque avec nous toutes les 5 minutes. « Gaomajos ! » : « Que la victoire soit à nous ! ».

La tente des hommes est secouée par des rires rauques et virils. Contrairement à celle des femmes où tout le monde était sagement attablé, ici l’agitation et le chaos sont de mise. On nous propose évidemment de boire des coups. Un grand mec baraqué, la cinquantaine, treillis et rangers au pieds, nous invite à nous asseoir et nous sert de la bière maison brassée pour l’occasion et au goût frais et léger. « Ici on est en démocratie. Si vous voulez boire, vous buvez. Sinon, vous ne buvez pas ! » me crie-t-il à l’oreille. Croit-il vraiment que je vais le regarder boire assis bien sagement ? 😅

La tradition du toast

La tradition en Géorgie est de porter des toasts avant de boire. Personne ne touche à son verre avant que le tamada, le maître de cérémonie, n’ait terminé de parler. La tradition du toast reste encore pour moi assez obscure mais je vous invite à lire ceci si le sujet vous intéresse.

L’homme aux rangers porte un toast à notre amitié. Un gros bonhomme, la cinquantaine, nous rejoint. Il ne parle pas bien Anglais mais nous montre fièrement sur son smartphone les tableaux qu’il a exposés en Italie. Un autre, encore plus hydraté, fait n’importe quoi avec son cheval dans la tente et tout le monde s’en écarte par prudence. Il s’enfile une cha-cha puis s’en va. Mais il est hors de question qu’on parte sans avoir essayé un jeu. Avec Michael, un Allemand qui traînait lui aussi dans le coin, nous sommes convoqués au jeu du « cul-sec de bière dans une corne ». Le jeu consiste à boire le contenu de la corne aussi vite que possible et une fois celle-ci terminée se gratter le dos avec. Le jeune Géorgien qui fut notre adversaire gagna bien évidemment les deux parties. 😣

La fête semble terminée alors que l’après-midi vient à peine de commencer. Les jeunes font les timides face à l’appareil photo. Je rejoins les anciens, assis par terre, à discuter en grignotant du poisson séché. Je porte mon premier toast en l’honneur des poissons de Tusheti : gros blanc. Ça a l’air de leur sembler bizarre. J’ai du mal à m’y retrouver dans cette tradition. Parfois on me tend un verre et, alors que je m’apprête à le boire, on me demande d’attendre le toast; d’autres fois j’attends le toast et on me demande de boire rapidement mon verre car on n’en a qu’un… quand le toast ne se transforme pas en discussions et en chamailleries qui durent une éternité…

Un grand-père arrive avec son petit-fils. Il a l’air d’y être très attaché. Il joue avec lui, le câline et lui porte un regard tendre comme rarement j’ai pu en voir dans ce pays où les sentiments ne sont pas franchement affichés en public. On me demande de porter un toast en l’honneur de sont fils mort il y a deux ans dans un accident de voiture. Malaise. Il y a dix minutes je portais un toast aux poissons de Tusheti, désormais je dois en porter un à un homme décédé que je ne connais même pas. Je fais de mon mieux, un homme traduit en Géorgien. Le vieil homme a l’air ému et il veut que l’on prenne une photo ensemble. Je suis touché.

Discussions autour du feu

Le soleil se couche, les jeunes jouent au foot avec quelques anciens éméchés. Un père est allongé sur la pelouse et joue avec ses enfants. Les Géorgiens que je trouvais jusqu’à maintenant si bourrus et distants m’apparaissent sous une lumière plus douce.

La nuit tombe sur le village de Shenako et les ados se regroupent autour d’un grand feu de bois. Ils rigolent entre eux, pour certains accrochés à leurs smartphones. On me demande si je mets mes photos sur Facebook ou Instagram. Je réponds que oui, ça m’arrive et me retrouve soudain entouré d’une ribambelle d’amis. Ces ados si réservés auparavant parlent en fait très bien l’Anglais. Ils m’invitent à m’asseoir, m’amènent de la bière, me demandent de raconter mon trek et me posent un tas de questions. Je me sens comme un aventurier de retour d’une contrée lointaine au siècle dernier. Ils ont l’esprit affuté et j’ai la chance d’avoir de vraies discussions avec eux. Ils m’expliquent ainsi que ça leur fait du mal de voir que la Tusheti, qui leur est si chère même s’ils n’y vivent que l’été, se modernise aussi vite. Ils ne veulent pas que leur région ressemble aux côtes de la Mer Noire, la Côte d’Azur géorgienne. Même si la plupart de l’année ils vivent plus bas, à Alvani ou Telavi, la Tusheti fait partie d’eux et ils y sont attachés. Je ne peux qu’être d’accord avec eux.

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