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Après la somptueuse randonnée du Langtang, je n’ai cessé de penser à repartir affronter les hauts sommets himalayens. Quelques jours plus tard c’est chose faite alors que j’appelle mon collègue, Dan, que j’ai rencontré quelques jours plus tôt: “Ça tombe bien, j’avais prévu de partir le même jour que toi!”. Me voilà donc sur la route pour une nouvelle aventure, le Circuit de l’Annapurna. Et l’aventure commence bien assez tôt avec une demoiselle particulièrement sensible aux vibrations du bus. Elle passera les 6 heures du trajet à dormir sur mon épaule lorsqu’elle ne vomit pas dans de petits sacs en plastique qu’elle jette ensuite par la fenêtre – Mmm, le Népal…

Premiers Jours

Les premiers jours ne sont pas des plus passionnants. Nous empruntons un bus tape-cul qui nous mène à Chamchye, y passons la nuit, puis marchons une vingtaine de kilomètres avant de nous retrouver bloqués par une cascade déchaînée. Heureusement, alors que nous nous résignons à retourner au précédent village afin de songer à une solution, nous trouvons un petit chemin qui nous permet de le contourner. Nous avons la chance d’y croiser un camion – du moins ce qu’il en reste – qui nous prend en stop jusqu’à Chame, le “véritable” départ de la randonnée de montagne, là où les choses commencent à devenir intéressantes.

Nous engouffrons les kilomètres entre paysages alpins et villages typés. Émerveillés par tant de beauté et de richesses, la marche se fait sans trop de peine malgré la chaleur, les coups de soleil et la difficulté de certains passages. A l’entrée de chaque village, la présence de chörtens et de moulins à prière nous rappelle à quel point l’influence du Bouddhisme tibétain est présente en ces hautes altitudes où les montagnes dominent, provocatrices. Annapurna II, Annapurna IV, … Leur nom résonne dans nos têtes et nous rend ivres de désir; mais elles se jouent de nous, se cachent sans cesse derrière une chaste parure de nuages avant de se dévoiler à nos yeux, délicatement, telles des reines nocturnes provoquant nos sens sans jamais se montrer entières.

Chaque jour, de village en village, nous montons pour mieux descendre afin de grimper à nouveau. Le soleil est au zénith alors que nous traversons un paysage surprenant digne de la Sierra Nevada, les cow-boys en moins. Nous brûlons littéralement et les litres d’eau s’écoulent à une vitesse phénoménale. Alors que jusqu’à présent nous sommes toujours allés plus loin que que ce que nous nous étions fixé la veille, cette fois-ci risque bien de changer la donne. Un village différent de tout ce que l’on a pu voir se dévoile à nos yeux fatigués. Baigné dans la poussière, entouré de chevaux et de yaks, il se cache paresseusement derrière une butte d’herbe sèche avec des allures maghrébines – Bragha. La tentation est trop grande et nous décidons d’oublier notre objectif du jour et d’y passer la nuit.

En Route Vers Tilicho

Les pieds meurtris, nous continuons notre route, toujours plus loin, toujours plus haut. Nos yeux lorgnent désormais sur un point particulier de la carte: un lac parmi les plus hauts du monde, le lac Tilicho, perché à 4919m d’altitude. Découvert par Herzog et son équipe lors de la fameuse expédition de 1950 ayant pour but l’ascension de l’Annapurna I, le premier 8000m de l’humanité, il est désormais notre cible. Cette fois-ci, il ne suffira pas de marcher comme nous l’avons fait jusqu’à présent. Non, ce serait trop simple. Un lac comme cela se mérite et il nous faudra traverser une conséquente zone de glissements de terrain. Pas plus inquiétés que cela, ignorants que nous sommes, nous allons rapidement comprendre dans quoi nous nous sommes embarqués alors que nous empruntons un chemin de sable et de graviers pas plus large que nos deux pieds, aux allures instables et dont l’inclinaison fait froid dans le dos…

Nous sommes désormais trois, un dénommé Fabrice nous a rejoint. Nous l’avions déjà croisé auparavant mais nos routes s’étaient séparées. Voyageant seul, il a cependant attendu de la compagnie pour traverser cette zone à risques. C’est donc ensemble que nous nous engageons dans cette traversée.

Au début tout se passe bien. Nous ne sommes pas spécialement rassurés mais le paysage aride et hostile nous ensorcelle. En haut comme en bas, la pente abrupte nous sépare d’un côté du ciel et de l’autre de la rivière, une bonne centaine de mètres plus bas. Il faudrait être aveugle pour ne pas se rendre compte qu’une chute ici pourrait être fatale et nous marchons donc prudemment. Le chemin s’affine jusqu’à carrément disparaître et Fabrice devient alors hésitant. “On ne peut pas passer là ! Regarde, il n’y a plus de chemin et les graviers s’effondrent !”. En effet, la mince couche présente sur cette portion en fait un passage instable s’effondrant progressivement sous nos pieds et nous entraînant vers le précipice. Je reste cependant confiant et tente ma chance. Ça passe ! Fabrice me suit, toujours aussi hésitant, s’appuyant le long de la pente – une illusion de sécurité ! Les graviers défilent sous son poids et il se retrouve bloqué, allongé contre la paroi, tentant de s’accrocher autant qu’il peut pour ne pas tomber…

“Tiens bon !” lui dis-je alors que je déplie un bâton de marche pour le lui tendre. “Dépêche ! Je glisse là !” me dit-il, inquiet. Ça devient urgent. Je tente de ne pas céder à la panique, lui tend le bâton déplié afin de le tirer vers moi et lui donne l’autre pour qu’il s’appuie dessus. “Il faut que tu te redresses afin que tes pieds stabilisent les graviers !” rétorqué-je. Ouf! Il réussit à retrouver son équilibre et à rejoindre le chemin. Dan ayant vu tout cela est totalement déconfit. “J’sais pas si je vais passer” me dit il, “si j’me rate, je crève !”. Un peu plus loin, deux porteurs locaux ayant assisté à la scène viennent à notre secours et, d’une aisance incroyable passent sur le chemin, le tassent et indiquent à Dan qu’il peut maintenant passer sans risque. On est sur le cul. Tout à coup, l’un d’eux pointe son doigt vers la zone d’éboulements et nous montre la silhouette d’un homme en train de courir … dans les éboulements – On croit rêver !

Plus de peur que de mal donc, et c’est au rythme martial des avalanches de roches que nous rejoignons le camp de base de Tilicho dont la froideur de l’accueil n’a d’égal que celle du vent qui nous fouette le visage. A l’occasion d’une journée de repos forcée pour cause de pluie battante, nous tissons ici de nouveaux liens d’amitié avec des gens du monde entier et rencontrons ceux avec qui nous poursuivrons notre aventure: Nicolas, Roark, Matteo et Alvar. Ensemble, nous avons décidé de quitter le camp avant le lever du soleil.

À Bout de Souffle

Je me souviendrais longtemps de cette montée ! C’est qu’à cette altitude le souffle vient vite à manquer et la semaine de marche derrière moi avec ce sac de 15/20kg commencent à se faire sentir. C’est donc sans surprise que j’atteins avec peine le sommet, en sueur et le souffle court.

Entouré de montagnes enneigées, enchanté par glaciers et étangs, c’est une étrange sensation que de voir le ciel d’un bleu aussi intense alors que le reste du décor me donne l’impression de voir le monde en noir et blanc. Le son régulier des avalanches a quant à lui tendance à me mettre mal à l’aise. J’ai néanmoins décidé de m’approcher de ce joli petit étang un peu plus bas.

Mes pieds s’enfoncent profondément dans la neige fraîche venant remplir mes chaussures déjà détrempées et, alors que je m’approche lentement de ma cible, un énorme bruit me fait sursauter. Je dirige mes yeux vers la montagne en face de moi. Ça bouge, et ça bouge vite! Une titanesque masse blanche et cotonneuse s’effondre à une vitesse ahurissante, attirée par la gravité – une avalanche ! Suis-je assez loin pour y échapper ? J’ai du mal à évaluer les distances, tout me paraît si proche. Pas le temps de réfléchir, ma vie compte plus que la passable photo que je souhaite faire et je me mets à courir, sans véritable espoir, vers une zone un peu plus élevée.

Après quelques mètres je m’effondre, à bout de souffle, le cœur battant la chamade. Aucune chance d’aller plus loin. Je me résigne, me disant que les chances que l’avalanche m’atteigne sont probablement minimes et immortalise ce moment. Il est malheureusement un peu tard pour cela, l’avalanche vient de se ‘casser’ sur le glacier en aval. Je suis sain et sauf et peux rejoindre mes collègues déjà en train d’admirer le sublime lac aux allures de gigantesque miroir recouvert de glace.

Le Jour J Approche

La prochaine grande étape est de traverser le col de Thorong-La situé à 5416m d’altitude. Nous avons alors prévu de rejoindre le camp d’altitude perché à 4850m pour une nuit qu’on appréhende un peu. “Devra-t-on descendre en urgence en plein milieu de la nuit alors que l’on souffrira d’abominables maux de tête et que l’on crachera du sang?”. C’est le genre d’angoisse qui nous taraude secrètement l’esprit durant les prochains jours.

Les paysages sont toujours à couper le souffle. La forme et la texture des montagnes ne sont pas sans me faire penser à l’Islande, en plus imposant. On est littéralement entourés par des titans de roche maltraités par les éléments qu’ils affrontent sans cesse, dénués de tout espoir de victoire. Peu à peu les invincibles géants se désagrègent face à l’incommensurable force du vent et de la glace qui les recouvre et les brise. Pour nous, simples humains, le seul fait de marcher – que dis-je, de bouger ! – est un combat. Le moindre mouvement requiert deux fois plus d’efforts qu’en temps normal et chaque pas nous coûte une quantité considérable d’énergie. Mais c’est une chose que l’on arrive à gérer avec le temps, en marchant calmement et à son rythme. L’esprit et le corps se retrouvant à nouveau en harmonie, nous avançons lentement mais sûrement vers notre dernier objectif avant le grand jour.

Dernière Montée : le Col de Thorong

La nuit se déroule sans encombre. Aux environs de 4h du matin, nous avalons un petit déjeuner succinct et un comprimé de Paracétamol puis quittons le camp dans l’obscurité la plus totale. C’est le grand jour et l’excitation est palpable. On est tous fatigués mais le fait de penser que d’ici quelques heures on sera Là-Haut nous donne des ailes. La montée et rude et se fait dans un silence absolu. Je suis bercé par le battement rapide mais régulier de mon cœur et tente de rester concentré sur mon souffle. Dans l’effort, on a tendance à s’enfermer dans un monde restreint, une sorte de bulle nous isolant de toutes les sensations néfastes à notre avancée. Et c’est en ce moment même le cas pour chacun d’entre nous.

Au fur et à mesure que le jour se lève, nous sommes ahuris par le spectacle se déroulant derrière nous. Les montagnes arborant fièrement leurs glaciers, plus imposants les uns que les autres, sont bercées d’une lumière bleue intense, le genre de lumière dont je n’avais même pas idée de l’existence. On a l’impression de rêver et, alors que le soleil matinal tente timidement de faire une percée, le sommet enneigé en amont se dévoile paré d’or. Ce spectacle ne dure que quelques précieux instants avant que les nuages ne couvrent le tout. Je ne peux m’empêcher de penser que les presque 200 kilomètres parcourus jusqu’à présent paraissent un maigre prix pour un tel spectacle, aussi court soit il. La courte distance restante pour rejoindre le haut du col se fait vite oublier, nos esprits étant toujours hypnotisés par ce qu’il viennent de vivre. Voilà, ça y est. On y est. On a réussi !

Nous passons un long moment au sommet avant de redescendre dans une brume épaisse, donnant au paysage morbide et silencieux une ambiance mystique. L’ambiance s’amplifie alors que le ciel se dévoile peu à peu sur la vallée de Muktinath, vision magique d’un désert sorti de nulle part. Décidément, cette journée est bénie !

Le Choc de Muktinath

La ville en elle-même est un choc. Après s’être ruiné les genoux le long des 1700m de dénivelé qui nous y mènent, nous retrouvons à nouveau la civilisation dans tous ses états: temples hindous et monastères bouddhistes mais aussi Klaxons, bruits de motos et boutiques de souvenirs … C’est un lieu que je voudrais quitter au plus vite mais mes compagnons ainsi que l’ensemble des randonneurs rencontrés en chemin veulent passer la soirée ici et fêter le passage du col. Je dois bien avouer que je ne suis pas contre une bonne douche chaude et quelques litres de bière, même si cela outrepasse ma vision du trek – encore loin d’être terminé. Tant pis, je cède. Demain je partirais dans la matinée profiter des villages alentours accompagné de mon collègue Nicolas, lui aussi ne pouvant se faire à l’idée de passer la journée ici.

Nous traversons donc de petits villages typiques de la région du Mustang aux allures tibétaines. Ici, pas de touristes. La vie y est telle qu’elle devait l’être durant le moyen-âge, à cela près que quelques câbles électriques bordent les chemins pavés que nous empruntons. Nous marchons, émerveillés, parmi les chèvres et leur petits, ces derniers se faufilant dans les maisons, apeurés par les grands hommes blancs tout maigres avec leurs gros sacs.

C’est une douce sensation que de se perdre ainsi dans les petites ruelles ensoleillées, entourés de murs et de maisons peints à la chaux et d’habitants souriants. Je voudrais que ce moment dure une éternité, même si l’on manque de peu de se faire arroser par la vidange d’un chiotte au dessus de nos têtes et que nous devons traverser les rivières sur des ponts de fortune. Nous passons ainsi une journée dans le passé avant de se séparer: j’ai décidé de rester passer la nuit dans l’un de ces villages.

La Fin de l’Aventure?

Demain, après une traversée du désert, nous nous retrouverons un peu plus loin et déciderons du futur de cette randonnée. Il sera alors hors de question de s’arrêter, l’envie de marcher étant plus forte que tout et nous continuerons notre chemin en direction du camp de base de l’Annapurna pour compléter cette randonnée d’environ 400km en l’espace d’un mois. Mais ceci est une autre aventure …

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