100.000 photos. C’est le pactole avec lequel je rentre de ce voyage de deux cent trente-quatre jours à travers le Népal, l’Inde et le Japon. Comme de nombreux voyageurs, après de longs mois sur la route, je me languissais quelque peu de rentrer même si je savais que, passée la première semaine à goûter les délices du mode de vie occidental, je me lasserai rapidement, puis regarderai avec nostalgie ces jours insouciants à travers les montagnes, dans une maison atypique ou même dans un bus sur une piste défoncée.
Et c’est exactement ce qui s’est passé. La première semaine de retour en France fut en effet délicieuse. Retrouver son chez-soi, sa famille, ses amis, goûter à nouveau aux légumes de la ferme d’à côté, s’imprégner des vins et des alcools locaux, … Je me surprends même à me sentir encore en voyage, arpentant les rues de ma ville, étonné d’entendre du Français tout autour de moi, me demandant pourquoi personne ne klaxonne pour que je me rabatte sur le bas-côté — fait tout ce qu’il y a de plus normal dans les rues chaotiques du Népal — et pourquoi tout est si propre — fait tout ce qu’il y a de plus anormal dans les rues chaotiques du Népal.
Mais rapidement une nouvelle routine s’installe, cette bonne vieille routine qui nous écrase et nous asservit. Je me retrouve alors confronté à des problèmes matériels sans grande importance mais qui me bouffent la vie. L’ordinateur fait des siennes, l’internet ne marche plus, … Je fais de nouveau face à l’absurdité du monde civilisé. Des cabanes de bois temporaires proposent déjà toutes sortes de cadeaux — en sont-ce vraiment ? — pour la Grand-Messe consumériste de Noël, des gens se plaignent parce qu’il faut attendre quelques minutes avant de remplir son réservoir d’essence, … Les points de suspension parsèment mon texte, les exemples sont si nombreux. Mais que faire pour ne pas céder à ce syndrome post-voyage ? Comment ne pas se laisser emporter par la vague de stress permanent de notre mode de vie ?
Je me plonge donc corps et âme dans mes photos. 100,000 clichés je vous disais. C’est du boulot. Je vais devoir faire une première sélection, éliminer les mauvais clichés. Puis une deuxième pour sélectionner ceux que je vais par la suite traiter. Un processus fastidieux mais nécessaire. Revivre à toute vitesse ces neuf derniers mois me rend nostalgique, mais heureux. J’en ai vécu des belles choses là haut sur les sentes himalayennes… et à travers le pays du soleil levant aussi. Oui, j’en ai vécu. En fait, j’ai tout simplement vécu ! Alors pourquoi se prendre la tête ? Un peu de musique, un café chaud, et c’est reparti. Je râle, mais au final, ne suis-je pas déjà en train de devenir ce que je suis en train de rejeter ? Il est temps de prendre du recul et de commencer à construire sur les briques des expériences accumulées de ce voyage. Car ce ne sont pas seulement des souvenirs et des photos avec lesquels je rentre. Je reviens surtout avec une somme d’expériences que l’argent ne peut acheter et que les livres ne peuvent apprendre — et que peu de gens ont la chance de vivre. Alors ce serait con de ne pas en profiter et d’en faire profiter les autres, ne pensez-vous pas ?