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Lire la première partie de l’histoire

Passer du district de Dolpa[1] à celui de Mugu est plus qu’un simple saut de frontière administrative. Nous marchons maintenant depuis huit jours, oscillant entre 3000 et 5600 m dans une nature sauvage intacte, observés par les glaciers, escaladant des pentes périlleuses et traversant des rivières déchaînées. Après un certain temps la force brute de la Nature himalayenne peut se faire ressentir de manière accablante.

Je dois avouer que je suis heureux d’arriver enfin au village de Mugu[2], à quelques kilomètres du Tibet. Les gens ici ne ressemblent pas aux Dolpopa, ne parlent pas le même dialecte et même — c’est une opinion personnelle basée uniquement sur quelques jours d’expérience, alors prenez la pour ce qu’elle est — ne se comportent pas de la même manière. Au Dolpo je me sentais comme enrobé par la bonté des Dolpopa, comme un coq en pâte en quelque sorte… Ici les gens me semblent plus durs, plus directs, plus “montagnards” en fait.

Nous avons la chance d’arriver à Mugu à un moment propice. En effet, le très vénéré Pema Ringzal Rinpoché s’est installé près du village pour plusieurs jours d’enseignement. Les Bouddhistes de l’Himalaya prennent très au sérieux l’arrivée d’un ‘Précieux Maître’. Quand un tel événement se produit, on peut s’attendre à voir des gens des vallées voisines, parfois vivant à plusieurs jours de marche, faire le déplacement pour y assister. D’un point de vue photographique, toutes ces familles résidant sous des tentes en forme de tipi près du feu pendant des jours sont une aubaine ! D’un point de vue sanitaire cependant, c’est une catastrophe : on vient en permanence me demander des médicaments pour soigner des problèmes d’ordre digestifs.

Dans des moments comme celui-ci il s’avère utile de connaître un peu la langue locale. J’en arrive ainsi à aborder des sujets douteux — mais amusants — avec une assemblée de moines, qui littéralement m’entourent, curieux de ce visage blanc qui connaît quelques vulgarités en Népalais. Mais le meilleur se déroule une fois la nuit tombée dans le camp de tipis enfumé. J’y ai la chance de rencontrer des familles de toute la région, assises près du feu, préparant leur dîner. Les étudiants/campeurs sont maintenant plus détendus et donc beaucoup plus accessibles. En voyant leurs photos sous la lumière flatteuse du feu de camp ils en redemandent et ainsi, de foyer en foyer, de famille en famille, je déambule. Il ne m’a jamais paru aussi aisé de photographier des gens dans l’Himalaya.

Alors que la nuit est déjà bien installée je commence à songer au retour. Ma tente est à environ une heure d’ici. Je rends visite à une dernière famille près du feu et les hommes commencent à m’intimider. “Tu sais, c’est dangereux de marcher ici la nuit” me fait comprendre l’un d’entre eux, me regardant droit dans les yeux. “Quelqu’un peut t’attendre dans les fourrés et te tuer pour ton argent”. Je ne sais toujours pas s’ils essayaient de me faire peur, mais en tout cas ça a marché. Cette heure de marche a été horrible. Imaginez-vous dans l’obscurité totale, sur un sentier de montagne, encaissé dans une vallée étroite au milieu de nulle part, avec le bruit des chiens qui grognent à mon approche, les yeux brillants des animaux qui sortent des buissons et le son oppressant de la rivière déchainée en contrebas… mais heureusement, point d’agresseur !

La randonnée est presque terminée. Nous traversons les derniers villages bouddhistes. Les meules de foin déstinées à nourrir le bétail pour le long hiver à venir recouvrent les toits des maisons de pierre. Les enfants, encore intimidés par les Hommes blancs venus de loin, nous regardent, s’approchent à petit pas, un peu, puis encore un peu plus… jusqu’ à ce que le grand monstre que j’aime à incarner les terrorise dans une tempête de rires et quelques pleurs déchirants de désespoir pour les plus jeunes. Mettez vous à leur place. C’est peut-être la première fois qu’ils rencontrent un homme à la couleur fantômatique, et qui plus est un mec comme moi… Brr, ça doit être effrayant !

Au fur et à mesure que nous descendons les villages hindous prédominent. Nous sommes maintenant à une altitude moins élevée, et donc plus proche de la civilisation. Les légumes sont plus faciles à trouver, la bière aussi. Après un mois à arpenter les montagnes c’est en quelque sorte un soulagement, mais lorsque je pense à tout ce que nous avons traversé je me sens déjà nostalgique. Non seulement cette randonnée à travers les merveilleux Dolpo et Mugu est terminée, mais toute cette aventure l’est. Heureusement, les trois horribles jours de Jeep et de bus pour rejoindre le bord du confortable lac Fewa, à Pokhara, seront une bonne transition vers mon retour.


  1. Il y a une différence entre Dolpa et Dolpo. Dolpa est le nom d’un district administratif du Népal, le Dolpo faisant partie de ce district. Plus d’informations ici  ↩
  2. Mugu est le nom d’un district administratif mais aussi celui d’un village.  ↩

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